roman

lundi 26 décembre 2016

Ce qui se cache derrière les noms des personnages


Viggo Mortensen - Desmond G. Blur



Les patronymes des personnages de mes romans ne sont pas choisis au hasard, encore moins parce qu'ils sonnent "joli", mais bien pour ce qu'ils évoquent.

Parfois, le sens est évident, parfois, la référence est plus subtile. 

Prenons l'exemple des personnages principaux de mon roman Dans l'oeil noir du corbeau (Pocket), Bill Rainbow et Anne Darney. 




Bill vit à San Francisco. Le rapport à la ville est évident: son patronyme Rainbow ("arc-en-ciel") est à la fois une référence au drapeau gay qui s'affiche dans beaucoup de lieux de la ville, au Golden Gate qui étire son arc de San Francisco à San Francisco Bay, au miroitement du ciel à la surface de la mer sur laquelle est amarrée son houseboat...



... Rainbow fait aussi référence à la personnalité même de Bill: un homme qui tend vers la lumière, la clarté, la vérité, mais qui cependant retombe comme l'espoir s'efface (ce que l'on comprend peu à peu dans le roman). 



Anne Darney porte le nom d'une commune dans les Vosges. La commune de Darney est connue pour sa remarquable forêt de hêtres et de chênes. Son patronyme fait référence à l'histoire qu'Anne porte en elle (la rencontre de l'amour dans les Vosges lorsqu'elle avait 16 ans), mais aussi, par extrapolation, elle l'associe à l'image d'une forêt, faite de méandres, de sentiers ombragés. C'est une femme qui se révèle au contact de la nature (la scène dans la forêt de Muir Woods National Parc).




Son prénom est aussi celui de cette soeur Anne qui regarde à l'horizon et ne voit toujours rien venir...

Mais venons-en à White coffee.

Desmond G. Blur est un survivant, un homme qui s'est construit en résilience, un être qui s'est dévoué à une quête - celle de la vérité - et à la compréhension du mal. Sa personnalité se révèle dans ses recherches, ses différents métiers (journaliste, professeur en criminologie) et dans l'intérêt qu'il porte aux autres.
Il accorde peu d'importance à sa propre existence. Il est comme effacé. Il est l'homme toujours flou sur l'image, un homme qui ne fait que passer, qui ne veut pas d'enfant de peur de "reproduire" le drame de son enfance. Mais comment pourrait-il reproduire le vide? (Blur, en anglais, signifie "effacement", "Flou".) Evidemment, sa rencontre avec Lola bouleverse tout cela.




"Blur" est aussi utilisé en cosmétique pour effacer, corriger les imperfections (de la peau). J'aime cette idée que Desmond, dans ses conférences, ses ouvrages, apporte un éclairage différents sur le victimes et leurs assassins, ne se focalise par sur la barbarie ou la violence de l'acte en lui même mais sur les facteurs qui ont poussé un individu à commettre tel ou tel acte, mettant en perpective le crime dans une globalité sociologique, psychologique et sociétale. C'est un peu comme si, au lieu de faire un gros plan sur le visage d'un psychopathe, on élargissait le plan. En Cinémascope, on donne une autre dimension au personnage (comme dans les films des frères Cohen, où, souvent, le personnage est comme rétrécit, banalisé, ou bien isolé dans le cadre, perdu entre l'avant et l'après, en perpétuelle instabilité).
Quant à son prénom, Desmond, si vous le prononcez de façon syllabique, cela donne "des-mon". N'a-t-il pas en lui cette part du diable, de ce sang qui coule dans les veines de son oncle, tueur en série?




Lola Lombard porte le prénom d'une femme fatale (Lola, le personnage incarné par Marlene Dietrich dans "L'ange Bleu" de Josef Von Sternberg).
Son nom est celui de l'actrice Carol Lombard (évoquée dans un précédent post consacré aux acteurs ayant inspiré les personnages) dont le visage porte une petite cicatrice à la joue (comme Lola), point commun que j'ignorais en choisissant de lui donner les traits de cette actrice. Mais ce qui est assez troublant, et que j'ignorais (je viens de le lire sur Wikipedia!), c'est que ce nom est d'origine italienne (comme moi), plus précisément d'Italie du Nord - la Lombardie (comme moi), et qu'il désignait autrefois un commerçant, un banquier ou un usurier.




Il est amusant de noter le rapport particulier de Lola avec l'argent; elle est financièrement en grande difficulté depuis la disparition de son mari dans Black coffee et elle le poursuit à l'autre bout du monde pour... lui faire signer les papiers du divorce! Des papiers qui lui permettront de s'affranchir de ses dettes. N'est-il pas étonnant de constater que, inconsciemment, j'ai donné à Lola un nom qui a un rapport fort avec l'argent?
La part inconsciente de l'auteure a peut-être encore joué pleinement son rôle lorsque j'ai choisi de donner à un des clients du Chautauqua Athenaeum Hotel le nom de Bismuth: celui-ci (qui se trouve être aussi celui du vétérinaire de ma chienne) a été choisi parmi une liste de noms qui figurent dans un ouvrage consacré à l'histoire de Chautauqua Institution et qui me fut bien utile pour écrire les parties du roman se déroulant dans cette ville. Pourquoi le nom de Bismuth et pas un autre? Est-ce une référence à l'élément chimique auquel il donne son nom? Ou bien, ainsi qu'un lecteur me l'a suggéré, un clin à une affaire mettant en cause un certain Nicolas Sarkozy? Quoi qu'il en soit, c'est bien Thomas Edison qui m'a inspiré physiquement le personnage.


Thomas Edison

"Il déverrouilla la serrure. Le visage écarlate et les yeux exorbités, un octogénaire dont le peignoir ouvert laissait poindre le ventre faillit lui tomber dans les bras.
— ... Sheila ?
Des remugles d’alcool et de transpiration émanaient du visiteur nocturne. L’homme regardait autour de lui sans comprendre, hors d’haleine, serrant un paquet de chips. Deux bouteilles de bière lestaient les poches de son peignoir.
— Calmez-vous, monsieur, tout va bien. Vous n’avez pas frappé à la bonne porte.
— Il... Il est là ! Je l’ai vu ! couina-t-il d’une voix blanche.
— Qu’avez-vous vu ?
— Il est là !... Là-bas !... Il faut prévenir la police ! — Qui est là-bas ?
— Thomas Edison !
Desmond eut un sourire amusé. Ce type était la 
parfaite illustration des propos rapportés voilà deux jours par le président Trauer concernant l’hypothèse selon laquelle l’hôtel puisse être hanté. Et l’Athenaeum Hotel, dans sa gracieuse vétusté, avait toutes les qua- lités requises pour en nourrir la légende.

— Quel est le numéro de votre chambre, monsieur ? demanda-t-il avec calme.
— Je vous jure que je l’ai vu ! Il tenait une ampoule à la main, et ça faisait une lumière rouge !
Desmond jeta un œil dans le couloir. Hormis un panneau « EXIT » éclairant le plafond au-dessus de l’es- calier d’un halo rougeoyant, rien d’autre qu’une sage obscurité en perspective, pas la moindre trace d’un quelconque inventeur d’ampoule électrique."  


Oui. Pour tous mes personnages, même secondaires, le nom est déterminant quant à leur personnalité, leur trait de caractère, leur comportement, leurs origines et leur destin. Ils doivent aussi sonner juste dans un contexte géographique et ne pas laisser deviner leur sens premier, ne pas être trop "évidents". Voilà pourquoi cela peut me prendre parfois plusieurs heures avant de me fixer sur un choix.
Voici par ordre alphabétique la liste de quelques patronymes des personnages de White coffee et leur sens caché :

Cuckoo = Désigne un idiot, un imbécile, mais aussi le coucou, cet oiseau qui pond ses oeufs dans le nid des autres (anglais)
Currie = nom d'origine écossaise... patrie des fantômes !
Fischer = Pêcheur (allemand)
Garrula = Bavard (latin)
Gorde = Sauver (basque)
Griffin = Griffon (anglais), créature légendaire liée, entre autres, au culte funéraire (gardien du monde des morts)
Haas = Lièvre (néerlandais)
Kurban = Victime (kurde)
Lewin = Nom juif
Marny = Malheur (polonais) 
Makhadi = inspiré du mot mukhadie qui signifie fourbe en arabe
Piltz = Champignon (allemand)
Trauer = Chagrin (allemand)
Weg = La voie (allemand)
Wissen = Savoir (allemand)


Samuel Haas

Comme dans Black coffee, petite fantaisie personnelle, j'ai donné à tous les policiers le nom d'un personnage joué par John Wayne dans un de ses films. John Wayne qui incarne une certaine image de l'Amérique, particulièrement reliée à la route 66 et à ces grands espaces qu'elle longe ou traverse. C'est aussi un acteur associé à l'image de mon père lequel appréciait ses westerns. Mon père lui ressemblait dans sa façon de se tenir, parfois, adossé, bras croisés, le menton légèrement baissé, de se mouvoir dans une pièce, avec ce petit déhanché particulier. 

Ainsi donc, le shérif Roy Glenister, de Chautauqua Institution, tire son patronyme du film "The Spoilers" (Les écumeurs) (1942) où John Wayne incarne le mineur Roy Glennister aux côtés de Marlene Dietrich.







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