roman

jeudi 29 décembre 2016

En passant par la Lorraine...



Lorraine

 White coffee est une arche.


Arizona
Une arche qui enjambe l'océan, rapproche les forêts majestueuses de Oak Creek Canyon en Arizona des bois denses où je me promenais, enfant, avec mes parents ou des amis, autour de Nancy.

Lorraine
Ces territoires symbolisent pour la petite citadine que je fus un champ d'évasion, une invitation perpétuelle à prendre son élan et courir, à caresser l'écorce des arbres, écarter les feuilles au pied de racines pour y chercher des trésors de champignon, humer le parfum de l'aurore, la folle ivresse de l'automne, imaginer un garçon me prenant doucement par la main et me conduisant sur un sentier inconnu où se dresseraient, soudain, les vestiges d'un passé fascinant - des fortifications datant de la première guerre... Des plaies ouvertes du passé, jamais cicatrisées, qu'Annette entrevoit sur Internet en cherchant où pourrait se trouver son frère.


"Elle découvrait à présent que, tout autour de sa ville, des fortifications érigées à l’aube du XXe siècle truffaient les forêts. Il suffisait presque d’écarter les branches des arbres pour tomber dessus. Elle avait dénombré pas moins d’une vingtaine d’abris de combats aux abords de Toul, et autant d’ouvrages d’infanterie et de forts, visitables ou non, et pour la plupart à l’abandon, perchés parfois sur une colline, au milieu d’un champ, le plus souvent engloutis au fond d’un bois. Les photos qui défilaient sur l’écran avaient quelque chose de macabre et de terrifiant. Elles montraient de vieux murs tagués ou couverts de ronces, des cadres de lits en fer rouillés sous de vastes chambrées aux parois voûtées, des couloirs encombrés de débris, inondés d’eau croupie. Telles des guirlandes trop vite arrachées, des ruissellements calcaires descendaient des plafonds. Jamais Annette n’avait vu d’aussi sinistres vestiges. Montait de ces vieux murs en ciment une mauvaise rumeur, une odeur de mort."

C'est grâce à Cédric et Julie Vaubourg, de l'association Fortiff'Seré et à leur formidable blog consacré aux ouvrages de guerre en Lorraine que j'ai pu effectuer les repérages géographiques et topographiques me permettant de créer toute la séquence dans la forêt du toulois. 


(Images tirées du site Fortiff'Séré)




Le coeur de Nancy bat, bordé de cette toison verte ensorcelée de bois, de campagne et de souvenirs. J'y ai écouté l'écho de ma voix, chatouillée par le vent et les cris des oiseaux, loin derrière, appelant mon frère ainé, lui, toujours devant, et qui jouait à me perdre, faisant naître en moi l'angoisse du Petit Poucet abandonné à la forêt par ses parents.


Lorraine

Effroi, excitation, frisson, et sentiment de victoire se succédaient en moi. J'allais couettes au vent, le nez rougi et les doigts glacés, lorsque je dénichais enfin ce frère grimpé en haut d'un arbre, trahi par ses ricanements. Combien j'étais forte sur mes jambes, courageuse et tenace malgré les coups de griffes des buissons. Rentrer ensuite prendre un goûter à la maison prenait des airs de festins glorieux.

C'est de cette exaltation-là, de souvenirs de ma jeunesse, que j'ai voulu habiller quelques chapitres de White Coffee. Gaston, 9 ans, a enfilé mes bottes, avalé un gros morceau de mon courage. C'est pour lui une étape initiatrice qui le prépare à l'âge adulte et à sa grande et belle solitude.


"— Papa!
Le sang martelait ses oreilles. Les poils urticants des feuilles d’orties lui brûlaient encore les doigts. Pas de réponse. Il cria encore. Appela son père, s’enfonçant toujours plus avant dans la forêt. Il avait peur de le perdre. Peur de se retrouver seul. Peur de voir la laie ressurgir au milieu de cette végétation si dense et le charger à son tour. Il manqua plusieurs fois de se prendre les pieds dans des racines. Le sol mou et glissant engloutissait ses baskets. Son bâton lui manquait pour fendre les buissons et repousser les branches qui griffaient sa peau à travers le jean.
— Papa!
Plus un son. Pas un souffle, pas même le vent pour donner un frémissement au sous-bois. Grimpant sur une butte, il s’y percha sur la pointe des pieds et scruta l’horizon mais les arbres étaient trop serrés pour qu’il puisse voir quoi que ce soit à plus de vingt mètres. "



Arizona


Desmond, lui, affronte ses propres doutes, sa peur de l'engagement et se confronte au roc, aux murailles de terre dont il se contente d'abord de contempler les creux et les couleurs, la tête basse, hésitant encore à lier son âme et son esprit à Lola, cette femme qui a surgi dans sa vie, de peur d'y trouver une forme d'aliénation, une perte de contrôle. Mais la nature va se charger de lui faire comprendre combien ce lien peut, au contraire, lui permettre de puiser une force nouvelle en lui.

" Le chemin pentu, à flanc de colline, était jalonné de branches mortes, bordé de ces arbres que l’on ne peut regarder sans éprouver de la peine tant leur feuillage se dépouille à l’automne. Mais une feuille suffisait à leur donner vie, encore, peignant la lumière du sous-bois d’une couleur de sang. Partir en randonnée avec celui qui fut le meilleur ami de son père donnait à Desmond l’illusion de marcher dans les pas de l’autre, de transpirer la même eau, de perpétuer quelque chose dont il ignorait la finalité mais qui au fil des heures, il l’espérait, lui procurerait une forme d’apaisement. La forêt majestueuse entrouvrit un peu plus sa robe sombre, dévoila ses sous-bois embaumés de sève.
— Attention, Des’ ! Ça descend à pic.
Les deux hommes avaient abaissé de grosses chaussettes par-dessus leurs chaussures de marche et, en dépit de la chaleur, préféré le jean au short à cause des moustiques et des arbustes qui griffaient les mollets. Des cailloux se détachaient de temps en temps sous leurs pieds, avertissant du passage des randonneurs lézards et serpents dissimulés sous des rochers caverneux. En contrebas dans le canyon, à peine décelable derrière les bosquets, la rivière amoindrie par un été sec poussait contre le vent des vaguelettes cristallines dont le murmure indiquait la distance qui restait à parcourir."

Arizona

Si j'évoque Nancy et la place Stanislas, bien sûr, je revisite aussi un quartier que j'ai habité lorsque j'avais entre 9 et 16 ans - le secteur Boudonville/rue de la Colline. C'est là, rue de la Croix Gagnée que se trouve la maison de Lola, au numéro 15, là où j'ai vécu sans doute les plus belles années avec ma famille, de 1977 à 1981.  Voici cette fameuse croix qui donne son nom à mon ancienne rue où j'imagine si facilement Lola et ses enfants, Annette et Gaston remontant la rue après l'école et un passage à la boulangerie.




En glissant un décor familier dans ce livre, je redonne vie à des émotions personnelles que je croyais avoir perdu, je me projette plus facilement dans la peau des personnages, fusionne avec Lola. Je connais l'odeur de sa peau, son parfum, les vêtements suspendus dans sa penderie : Lola est un curieux mélange de ma mère et de moi. Je l'imagine facilement faire ses courses à la Sapinière comme si je poussais le caddie à sa place, et je connais ce frisson mauvais de la carte de crédit refusée pour provision insuffisante. C'était l'époque difficile de mes 20/25 ans aux côtés d'un artiste remarquable, brillant, intelligent, mais qui n'avait de cesse de freiner des deux pieds dès qu'il entreprenait quelque chose de formidable comme s'il se refusait le droit au bonheur et à la réussite, vivant nos difficultés économiques comme une fatalité. Un homme qui, avec certitude, aura influencé le personnage de Pierre.




Pas d'évocation de la Lorraine sans ma "madeleine": la mirabelle.


"Un collier de lierre descendait de chaque côté des fenêtres. Parure ostentatoire, abondante. La façade de la maison s’ornait encore de roses trémières aux pétales de porcelaine. Sur la terrasse, autour d’une table en fer aux pieds rouillés, Lola et sa mère triaient les dernières mirabelles, des éclats de soleil dans les cheveux. Gaston en livrait de pleins paniers depuis le verger où son grand-père l’aidait à cueillir les fruits d’or, dirigeait sa main vers les branches les plus généreuses, tenant l’échelle. Un vent au frais accent d’automne apportait leurs voix. La récolte était précoce. Recouvertes d’une pellicule cireuse, parées de taches rouges, les mirabelles chanteraient bientôt dans une bassine en cuivre, embaumant la cuisine.
— Mamie Ophélie, papi a trouvé un orvet !"

Dans ce passage, j'évoque aussi un couple d'amis écrivains qui me sont chers, Gilles Laporte et sa délicieuse compagne Frédérique Volot, en m'inspirant de quelques photos de leur maison qu'ils ont eu la gentillesse de me transmettre. On ne pouvait imaginer plus magnifiques parents pour Lola.

Les voici en conférence au festival Les Imaginales à Epinal

Sans doute aurais-je aimé, dans une autre vie, avoir un père à la barbe si douce et rassurante que celle de Gilles, sans doute aurais-je aimé me sentir choyée dans le beau regard de Frédérique. Et dans leur grande gourmandise littéraire, leur amour des chats et la culture du terroir qu'ils entretiennent, je retrouve un peu de mes parents. Autant donner le meilleur à Lola.

1 commentaire:

  1. Très ému ! Ta fidèle amitié me touche profondément, ma chère Sophie. Et... quelle belle plume ! Merci pour tout. A bientôt. Je t'embrasse très fort.

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